Beaufort 2021 - Le Littoral

Côte belge (Belgique)

27.05 - 07.11.2021

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Communiqué de presse


Beaufort 2021 - Le Littoral est un projet d’art contemporain triennal qui se déroule le long de la côte belge. En 2021, la triennale  présente sa septième édition, toujours en relation avec l’histoire des lieux et la défense de l’environnement.


 













































 


















































Quelques propositions artistiques choisies sur les plages et à proximité des villes balnéaires citées :


De Panne

Laure Pouvost, Touching To Sea You Through Our Extremities. Zone de plage près de Leopold I Esplanade


"Substantif féminin. Visqueuse, liquide, malléable. A 9 cerveaux, 8 tentacules, 3 cœurs et le sang bleu. Élégante, capable de cracher de l'encre servant à cuisiner et à écrire. Transparente. De couleur bise. Très puissante. Un cerveau sur un plateau." Voici comment Laure Prouvost décrit la pieuvre de son Legsicon, présenté lors de son exposition solo Am-Big-You-Us Legsicon au M HKA il y a deux ans, fascinée par cette créature marine récurrente dans ses vidéos, sculptures, installations (sonores) et performances.

Un gigantesque spécimen s'est échoué sur la plage de La Panne. Ses tentacules symbolisent la manière dont l'artiste, elle aussi immergée dans une Belgique multilingue, doit manœuvrer entre les différentes cultures et formes de communication. Elle déploie ses appendices sur le sable et, ce faisant, explore prudemment les environs au moyen de ses ventouses. Un télescope à la main, elle vous montre le chemin. Pas moins de 60 % de l'intelligence de la pieuvre réside dans ses tentacules. Ses pensées, effleurements et mouvements ne font qu'un. La synesthésie, à savoir la capacité d'associer une impression sensorielle à une autre, constitue à la fois son plus gros atout et sa stratégie de survie. Cette tactilité imprègne l'œuvre de Laure Prouvost.


Oostduinkerke

Els Dietvorst, Windswept. Zone de plage sur Trumelet Faberstraat


En se promenant le long de la côte irlandaise, Els Dietvorst a découvert comment le vent contraint progressivement les arbres à se mettre à genoux. Dans les termes locaux, ces arbres courbés sont nommés 'shrugs'. Intriguée par leur forme, l'artiste a glané durant deux ans divers morceaux de bois flotté échoués. À partir de son butin, elle a construit avec un artisan local un nouvel arbre, courbé vers le bas. Les morceaux de bois ainsi assemblés peuvent être considérés, tout comme l'original, comme un refuge momentané: les branches courbées offrent aux passants un abri contre les averses ou les vents violents. Les branches en bois étant très fragiles, l'artiste a réalisé leur copie en bronze pour Beaufort, transformant ainsi les morceaux de bois échoués en un lieu de sécurité.

Windswept acquiert ainsi une place dans l'œuvre socialement engagée de l'artiste. Depuis les années 90, elle utilise des histoires, des éléments ou des personnages discrets comme matières premières pour son art. Dans ses pratiques multidisciplinaires, Els Dietvorst manipule un vaste arsenal de médias, comme moyens de communication entre le public et l'environnement, et s'inspire par là étroitement du concept de 'sculpture sociale' de Joseph Beuys. L'œuvre d'art n'est jamais une fin en soi, mais un moyen de susciter une interaction entre différents groupes de la société, ici l'idée de vulnérabilité au moyen de ce nouvel arbre recomposé.


Nieuwpoort

Maarten Vanden Eynde, Pinpointing Progress. Installation à proximité de l'hôtel de ville


Comment mesurer le progrès? Est-il toujours bénéfique? Tel est le questionnement posé par Pinpointing Progress, l'œuvre de Maarten Vanden Eynde. Dans cette sculpture sont associées plusieurs réalisations modernes. À une époque, les bus, les mobylettes, les vélos et les radios étaient considérés comme les technologies les plus avancées. Au XXe siècle, ces inventions ont été exportées avec fierté tant par l'Occident que l'URSS, dans une course pour être le plus à la pointe, pour confirmer la supériorité d'une idéologie.

On peut ici évoquer les constructions édifiées par Léopold II le long de la côte belge, le port de Zeebruges, la route du littoral et la gare d'Ostende. Ce roi, qui a commis des atrocités figurant parmi les pires de l'Histoire, a fait de la côte une attraction mondaine, avec l'argent qu'il a gagné sur le dos du peuple congolais. Aujourd'hui, quand on pense au progrès technologique, on pense aux développements des géants du numérique - Google ou Apple -, qui incitent encore à l'esclavage des enfants dans leur quête de minerais au Congo. La violation des droits de l'homme semble être indissolublement liée à la modernisation. Pinpointing Progress dresse prudemment un bilan et ouvre les yeux sur le fait que la Tour du progrès s'effondrera elle aussi peut-être un jour.


Middelkerke

Raphaela Vogel, There Are Indeed Medium-Sized Narratives. Plage à la fin de Louis Logierlaan


La pratique artistique diversifiée de Raphaela Vogel fusionne divers médias: objets, sculptures, collages, peintures, vidéos et musique. Elle éveille ainsi des paysages oniriques qui racontent une histoire tout sauf claire et linéaire. Avec beaucoup d'humour et de légèreté, ses sculptures remettent en question de grandes idéologies comme l'impérialisme ou le colonialisme. À une époque où les monuments publics font l'objet d'un débat à l'échelle internationale, cette artiste casse les codes avec ce qu'elle appelle les medium-sized narratives. Une réponse à deux discours: les grandes histoires des pays et la micropolitique, qui suppose que l'on peut changer le monde en commençant par soi-même.

Tel un compromis entre les deux discours, Raphaela Vogel raconte des histoires 'de taille moyenne'. L'artiste s'amuse avec le motif séculaire dans l'histoire de l'art où deux animaux doivent protéger un élément en l'entourant symétriquement, éloignant ainsi le mal. Pour Beaufort, elle choisit deux girafes à la stature plus grande car hissées sur des réfrigérateurs ordinaires en guise de socle. De par leur caractère non menaçant et leur slogan appelant à la reconnaissance des medium-sized narratives, elles inventent un nouveau type de monument, sans glorification, plus approprié à l'époque actuelle. Les girafes semblent faire référence à Testreep, l'île qui se trouvait au large de la côte et à laquelle Ostende ('Oost-einde', ou extrémité orientale) doit son nom. Au XVe siècle, cette langue de terre a été définitivement submergée par la mer du Nord. Les fossiles échoués sur le rivage témoignent aujourd'hui encore de l'activité humaine et animale de l'époque. Des girafes ont-elles déambulé à Testreep? On ne le sait pas (encore), l'artiste s'en remet entièrement à la riche imagination des spectateurs.


Mariakerke


Rosa Barba, Pillage of the Sea. Plage à la fin de Vergeet-mij-nietjes-laan


Depuis que le monde est monde, de 'petits hommes de pierre' ornent notre paysage. Ils surgissent sous la forme de pierres empilées, de petites tours pratiques servant de point de repère aux promeneurs égarés, avec une signification spirituelle dans diverses cultures, comme au Japon. En s'arrêtant un instant devant ces pierres en équilibre, l'homme reconnaît être à la merci de la nature et lui murmure doucement ses souhaits. Rosa Barba a solidement ancré un homme de pierre agrandi à Ostende. Elle a imité les pierres en coulant du béton dans du textile, une technique garante de flexibilité pour les architectes et les designers de l'avenir. Le textile rappelle la forme des sacs de sable, comme un barrage imaginaire contre l'élévation future du niveau de la mer.

Chaque pierre symbolise une ville dont le destin est à la merci du réchauffement climatique. Buenos Aires, Bangkok, Rio de Janeiro, Miami, Jakarta et Chennai sont représentées par une pierre dont la taille correspond à leur nombre d'habitants. La position de chaque ville dans la tour correspond à l'altitude réelle du lieu et met en évidence son rapport avec le niveau de la mer qui ne cesse d'augmenter. Amsterdam par exemple est déjà à deux mètres sous le niveau actuel de la mer. Le titre de l'œuvre renvoie à la poétesse Emily Dickinson, que la mer a empêchée d'émettre la moindre parole et qui l'a donc littéralement privée de ses mots. En même temps, il évoque l'idée impossible d'un pillage de la mer, qui n'appartient à personne. Au fil des ans, Pillage of the Sea sera progressivement submergée. Avec cette œuvre, Rosa Barba nous invoque d'admettre notre vulnérabilité et d'honorer la nature.


De Haan

Jimmie Durham, Thinking of You. Rond-point à De Smet de Naeyerlaan 30


En 2005, le conseil artistique du Vlaamse Bouwmeester a demandé à huit plasticiens belges et étrangers de faire une proposition d'œuvre d'art destinée à agrémenter un rond-point en Flandre.  Un phénomène souvent qualifié de remplissage problématique de l'espace public ces dernières décennies. Jimmie Durham était l'un de ces artistes. Cette installation est la réalisation de sa proposition, quatorze ans après la publication de l'appel à projets. Sur un arbre dénudé et ressemblant à un réverbère avec deux branches mortes, un vautour scrute l'horizon. Impassible, le rapace observe la circulation tout autour de lui.

Dans ses considérations sur l'art dans l'espace public qui accompagnent sa proposition, Jimmie Durham renvoie à la Colonne de la Victoire de Berlin comme exemple bien connu d'art sur un rond-point, monument nationaliste qui fut érigé après une victoire militaire prussienne à la fin du XIXe siècle. L'artiste signale que les monuments publics de ce type prêchent l'exclusion plutôt que l'inclusion. Il constate que le terme d'art public' est trompeur, car il donne l'impression que le public est impliqué dans la mission, alors que ce dernier n'est presque jamais consulté au préalable. 'Mon travail peut être perçu comme interventionniste car il s'oppose aux deux bases fondamentales de la tradition européenne : la croyance et l'architecture. Mon œuvre va à contre-courant du lien qu'entretient l'art avec l'architecture, la statue, la monumentalité. Je veux que ce soit une invitation à enquêter, et non pas une œuvre impressionnante ni crédible', explique l'artiste.


Blankenberge

Marguerite Humeau, The Dancer V, A marine mammal invoking higher spirits. Plage à Wenduinse Steenweg 15


Mue par son intérêt pour les écosystèmes, Marguerite Humeau collabore régulièrement avec des zoologistes, des biologistes et des experts cognitifs. Elle formule avec eux des hypothèses fictives à partir desquelles ses œuvres d'art voient le jour. L'une de ces théories spéculatives est par exemple qu'un comportement spirituel se manifesterait chez les animaux en raison du réchauffement de la Terre. Cette thèse excitante a donné lieu à une série de sculptures dans lesquelles l'artiste tente de représenter ce comportement spirituel.

L'une des sculptures de cette série est The Dancer V, A marine mammal invoking higher spirits et représente un animal marin futuriste qui s'adresse à la Lune au cours d'une danse rituelle. Marguerite Humeau esquisse ainsi un avenir rempli de créatures amorphes, des croisements entre hommes et animaux qui associent les restes d'une culture révolue à une stratégie de survie pour l'avenir. À terme, la sculpture sera intégrée à la nouvelle levée en cours de construction à Blankenberge afin d'empêcher l'ensablement du port.

Cette sculpture s'inscrit parfaitement dans l'histoire locale: près de la côte belge, des archéologues ont trouvé des silex, des os, des restes humains et des fossiles qui témoignent de la vaste étendue préhistorique et paradisiaque du 'Doggerland', où l'homme, la faune et la flore avaient élu domicile. Cette étendue a existé jusqu'à ce qu'un glissement de terrain sous-marin ne provoque un énorme tsunami, il y a 8000 ans environ. Toute la zone s'est retrouvée immergée, créant ainsi la mer du Nord actuelle. À l'instar des autres statues, The Dancer V réunit le présent, le passé et l'avenir, mais attire également l'attention sur un moment charnière. Tandis que le glissement de terrain sous-marin était un catalyseur pour le 'Doggerland', nous sommes aujourd'hui confrontés aux conséquences du réchauffement climatique, lequel rendra le paysage qui nous entoure tout aussi méconnaissable. L'artiste nous demande de nous imaginer le monde au-delà de ce moment. Les espèces animales et les personnes que l'on connaît devront faire place à une multitude d'êtres et d'écosystèmes nouveaux et fascinants.


À divers endroits à Zeebrugge et Bruges

Adrián Villar Rojas, From the series Brick Farm


Quand l'équipe de l'artiste Adrián Villar Rojas s'est installée dans un studio situé dans une ancienne briqueterie près de la ville argentine de Rosario, elle a découvert de très nombreux nids d'hornero. Ce sont ces nids qui confèrent à ce petit oiseau sud-américain son illustre statut. Ses constructions à base de boue reproduisent parfaitement les très anciens fours à boue qui étaient essentiels pour les premières populations agricoles en Argentine, dans la région Sud du Brésil et en Uruguay. Chaque nid est une véritable prouesse, avec des murs épais et solides posés sur une base de branches. L'hornero cherche toujours comme ancrage une structure créée par l'homme et occupe donc les réverbères, les poteaux électriques ou téléphoniques, les façades des immeubles bâtis. Ces oiseaux sont ainsi considérés comme des 'synanthropes', des animaux qui profitent de l'habitat humain pour assurer leur propre survie.

Dans l'hornero, Adrián Villar Rojas voit se cristalliser sa propre pratique artistique. Son œuvre explore en effet la notion de l'Anthropocène, ou l'époque dans laquelle l'influence de l'homme sur la nature est déterminante. Après avoir découvert les nids, l'équipe de l'artiste les a intégrés dans ses recherches. Ils ont réparé et restauré les nids abandonnés en imitant la technique de construction de l'hornero avec de la boue, des brindilles, de l'argile, de la salive et d'autres matériaux. L'installation des nids réassemblés en dehors de leur territoire crée une coexistence entre cette espèce ornithologique argentine et la flore, la faune et l'architecture d'autres environnements. Pour Beaufort et la Triennale de Bruges, l'équipe de l'artiste a dispersé quelque 80 nids à Zeebruges ainsi que dans la ville de Bruges.

"Je ne peux pas décrire mon travail artistique comme étant une 'réalisation d'œuvres d'art' ", déclare Adrián Villar Rojas. "Je pense qu'il n'y a qu'un seul projet global, qui durera toute ma vie. Ce projet part des questions : Qu'est-ce qui peut survivre? Qu'est-ce qui ne laisse aucune trace? C'est assez paradoxal, mais pour réaliser mon travail, je disperse de la matière dans le monde entier." Quant à ces nids, la nature décidera s'ils resteront encore là après l'exposition.


En collaboration avec la Triennale de Bruges




















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Beaufort 2021 - Le Littoral de la côte belge

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