Archives 1er semestre 2018

Seconde Nature, exposition d’été

Centre d’art du Luxembourg Belge (Luxembourg)

30.06 - 26.08.2018


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Texte d’Alain Renoy

 

Cet été, l’art contemporain retrouve intacte la nature intense de Montauban, ses ruines et son étang, ses silences et les traces, de verdure ou de rouille, qu’y déposent les saisons qui passent. Est-ce son inscription dans le passé et l’esprit si présents de ce site, ou le fait qu’il s’en distingue à jamais, de par sa nature même, qui n’est que très humaine ? Toujours est-il que de juillet à août, sept artistes plasticiens prêtent à ce lieu une seconde vie, en mettant en œuvre ses éléments, des plus modestes aux plus imposants, dans une série d’interventions et d’intégrations dont la « Seconde nature » est le thème, discrètement teinté d’ironie.

C’est ainsi que la membrane de métal des containers attrape de nouvelles couleurs naturelles, libérées par le liber, tandis que sur leur plancher pousse une herbe bizarre, dont les verts interpellent, que leur porte s’ouvre tout en restant close, ou que l’eau de l’étang se couvre d’une seconde eau. Sur l’herbe du tournant, à côté des halles, un arbre mort se recompose, vêtu d’une peau réfléchissante, alors que dans le bureau des forges, un long fil d’herbe se tresse et se double d’ombres par morceaux, jouant ainsi sur plusieurs tableaux. Rendues à une seconde nature, des tiges d’osier, de bambou ou de sureau expriment l’ample par l’humble, le complexe par le simple, la richesse du tout par le pauvre du presque rien. Dans le container du haut, des fruits de bouleaux ont des allures d’oiseaux, et encore plus haut, les lignes et les redents du Musée lapidaire, ainsi que ses pierres séculaires, sont finement mis en lumières.

































 


















































Seconde Nature, exposition d’été au Centre d’art du Luxembourg Belge

Exposition du 30 juin au 26 août 2018. Centre d’Art Contemporain du Luxembourg belge, Site de Montauban: Rue de Montauban - 6743 Buzenol. Ouverture  du mardi au dimanche de 14h30 à18h et sur rendez-vous. Entrée libre.






 







 











 





 



























 





 











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Espace extérieur


Ses « ouvertures », Samuel D’Ippolito les crée à partir d’éléments qui représentent au plus près l’endroit où il les sculpte, organiquement. Dès lors s’enfantent des œuvres dans le cadre fermé desquelles chaque spectateur, oscillant entre ses vides et ses pleins, ses aspects profanes comme sacrés, ses fermetés ou le jeu de ses reflets passagers, peut se dévisager et envisager de façon plus consciente ses relations avec son proche environnement. A Montauban, l’artiste recueille des branches torses et mortes dans les bois avoisinants, avant de les assembler comme autant d’os ou de membres. En rapport avec les halles, le grand vortex se dresse enfin, puis emporte ceux qui s’y prennent l’œil de l’esprit vers des contrées étranges qui sont, peut-être, des régions inexplorés et intérieures, puisque l’art, s’il ouvre sur ce qui importe, n’est, avant, après et avec le tout, qu’un extraordinaire médiateur.


Espace René Greisch


D’emblée, le simple mot « liber » appelle les vastes notions de livre et de liberté Deux objets-projets qui, s’ils sont respirés à pleine vie, s’identifient en tout point à Claudie Hunzinger. Pour elle, qui n’a d’autre nationalité que cette montagne qui la nourrit, les pages qu’elle écrit puis publie, et celles qu’elle tisse, entre lignes et vides, à l’aide d’herbes cueillies puis colorés, se confondent en un seul geste de fécondité. Mais le liber est, plus spécifiquement, cette fibre secrète qui sépare et unit, à l’intérieur de tout arbre, son écorce à sa chair boisée. L’artiste s’en saisit, le retaille aux ciseaux et le teint, lui offrant ainsi des formes, des pigments et une exposition qu’il ne se savait pas posséder. Cet été, toujours entre vides et lignes, des couleurs découpées viennent, en une suite de pulsations joyeuses et enfantines, insuffler la pureté de leurs teintes sur les murs blancs des containers, et faire écho aux herbes poussés par Benoît Féix sur le stérile terreau du plancher.


En écho aux libers de couleurs découpées sur les murs par Claudie Hunzinger, Benoît Félix pose une nature en herbe sur le plancher du premier étage des containers. « Pousser l’herbe », murmure ce dessin, dans lequel tout trait, s’il est vert, se prend au jeu, littéralement élémentaire, d’être un brin. Sur l’étang et lors d’une performance, il étend son filet d’eau sur l’eau, faisant porter ou onduler par le rél sa propre représentation, et dans un autre container, la porte du fond, close et condamnée, retrouve des gonds grâce à l’animation d’une vidéo. Autant de façons, en joignant son image à la chose qui lui correspond, mais pas entièrement, d’interroger leurs rapprochements, leurs différences, ce qui les lie et les repousse dans des univers à la fois identiques et très distincts. Le rêve qui recompose une matière est et n’est pas cette matière, bien qu’ils se ressemblent, et le jeu de l’artiste consiste à mettre cette limite en évidence, à rendre cette frontière perceptible, en apparence.


Les allures sont des membranes naturelles qui ont des allures d’oiseaux, et qui chaque hiver prennent leur envol avec à leur bord le fruit femelle du bouleau. Françis Génot s’empare d’elles dès qu’elles se posent, puis les piège à la volée dans des tableaux en papier cellulose. Leurs ailes arrêtées dans leur course àla reproduction s’y écrivent alors en familles de petits volatiles végétaux et immobiles. Tout prè, sur la blancheur d’une table, l’artiste opère un tri entre les membranes et les graines, organisant par le geste qui les isole leur vol horizontal. Ainsi, il intéresse les visiteurs à une manière plus subtile d’envisager le vivant, et notamment le destin d’oiseaux dont le nombre diminue en proportion inverse du rendement des cultures, jusqu’à la disparition de certaines allures, de certains essors, laissant la toile du ciel àla tristesse de son sort. Car, à la fin, tout n’est-il pas furtif et insaisissable, à l’image de l’ombre d’un feuillage qui tremble sur la blancheur d’un papier-miroir ?


Bureau des forges


Là où l’intelligence est avant tout affaire de sens, la manipulation de la matière se mue en méditation vers le réel. Qui plus est, travailler l’éphémère permet de prendre la mesure de ses cycles, de mieux estimer la valeur du temps que lui réserve l’artiste. Suivant son rythme contemplatif, Thomas Loyatho s’absorbe à tresser trois longs brins d’herbe de Canche, à la lenteur de 70 cm à l’heure. Ensuite, humidifié, il met son fil à sécher sur un support qui lui conserve sa forme jusque dans le bureau des forges, où la mémoire dans ses fibres, il se déroule ou reste enroulé sur lui-même et sur une étagère de verre, suivant ainsi sa pente nouvellement naturelle. Par un habile jeu de lumière, son ombre est transcrite sur plusieurs tableaux blancs adossés aux cimaises inclinées, redessinant en noir et en net sa forme longiligne et compliquée. Chaque œuvre d’ombre, par son titre, met alors en relief le rapport entre sa surface et le temps de tressage de sa silhouette fragmenté, de même qu’elle rend au pauvre et à son reflet une riche et fragile portée.


Rendre visibles la force du fragile, la complexité du simple, la puissance présente dans tout ce qui est petit, la continuité et la valeur caché au cœur même de la pauvreté des matières empruntées à leur nature précaire, et qu’un rien, presque, pourrait briser, un geste inopiné, un regard trop appuyé, bref, rendre leur importance aux choses les moins sacrés, et à travers leur mise en art tenter d’atteindre d’autres choses, au bord de l’inexprimé, telle est l’intention, ou plutôt l’intuition, que poursuit Jean-Georges Massart depuis plusieurs dizaines d’années. L’osier et sa souple fragilité, le sureau et sa frêle humilité, le bambou et sa sensible rigidité pliée, courbée et nouée par l’improvisation de l’artiste, déploient alors dans l’espace leurs élans dépouillés, le soulignant avec délicatesse, en espérant qu’à leur tour les visiteurs puissent y déployer leur finesse. La place est là occupée par le vide, et esquissé par des lignes, des boucles et des liens qui relient l’esprit au presque rien.


Musée lapidaire


Formé à la sculpture, attaché àl a recherche chromatique, Philippe Luyten et son art discret trouvent leurs assises sur le terrain mouvant et émouvant de la rencontre. Rencontre avec les lumières ou les ombres, celles dont accouchent puis jouent la nature et ses saisons. Rencontre avec les couleurs et leurs modes physiologiques de perception. Rencontre avec des sites singuliers, qui lui parlent à travers leurs lignes, leurs reliefs, leur passé leur inscription dans l’espace, et l’inventivité de leurs sensations. Ici, il pose des plexis lumineux et coloré qui soulignent les arêtes, les angles, les vitres et les pierres du Musé lapidaire et dont la teinte et la présence varient avec les ombres et la lumière. Par son économie de moyens, il révèle l’endroit à lui-même, le poétise et le suspend, surprend le visiteur comme il se surprend constamment, puisque créer, pour lui, relève de l’humilité et de l’étonnement.




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