Que dirait la nature si on lui posait les bonnes questions? Qu'est-ce qui rend un mouvement de lutte contre la violence sexiste efficace? Le travail d'Amar Kanwar réunit les ressources de l'activisme, des sciences sociales et des sciences humaines dans une nécessaire collaboration à travers des images, des documents et la présence de la nature dans les salles d'exposition. Si nous voulons comprendre ce que la nature a à dire, ce que tous ceux qui souffrent ont à dire, alors nous devons inventer les émotions, produire les expériences qui nous permettraient de négocier différemment avec la vie. Et c’est maintenant - compte tenu du poids de notre époque, assombri par la monté des idées conservatrices extrêmes, par une élaboration de politiques privées du sens de l’humanité, de l’ouverture ou de la prospective - que nous avons besoin de cet éclairage. C’est l’affirmation qui est au cœur de ces deux œuvres, The Sovereign Forest (initiée en 2011) et The Lightning Testimonies (2007), préentées au Museo Nacional Thyssen-Bornemisza comme la deuxième collaboration artistique importante entre le musée et Thyssen. Bornemisza Art Contemporary (TBA21), la fondation initiée à Vienne par Francesca Thyssen-Bornemisza.
The Sovereign Forest est née du conflit à Odisha, en Inde, entre les communauté locales, le gouvernement et les intérêts commerciaux. Depuis plus de dix ans, Amar Kanwar a filmé l'activité industrielle qui a transformé et détruit de vastes étendues de terres dans cet État de l'est de l'Inde. Au cours des années 90, des entreprises nationales et internationales ont créé de vastes zones industrielles et minières dans diverses parties de ce territoire traditionnellement agricole. Les conflits qui en ont résulté entre les communauté locales, le gouvernement et les grandes entreprises pour le contrôle de la terre, des forêts, des rivières et des minéraux ont entraîné le déplacement forcé des communautés autochtones, des agriculteurs et des pêcheurs, tout en amenant un climat de violence. Le paysage naturel est présenté au spectateur comme une scène de crime : chaque endroit, chaque brin d'herbe, chaque source d'eau et chaque arbre montrés sont situés dans la zone «acquise» et destiné à disparaître. Dans une galerie adjacente, la deuxième partie de l'installation, The Seed Room, présente des tableaux contenant des livres fabriqués à partir de papiers fait main, sur lesquels sont projetés des films, ainsi qu'un mur de semences indigènes d'Odisha. Amar Kanwar raconte que lorsqu'un agriculteur local, Natabar Sarangi, a commencé à cultiver du riz, il s'est rendu compte que peu de variétés étaient utilisées à Odisha, alors qu'il se souvenait qu'au cours de son enfance, existaient de nombreuses variétés aux différentes formes, saveurs et caractéristiques naturelles. Afin de préserver cet héritage et de réintroduire ces variétés dans le cycle des cultures saisonnières, Sarangi s'est mis à cultiver, récolter, semer et stocker des semences. Dans cette salle, adaptée, agrandie et modifiée au fur et à mesure de ses déplacements, les semences de 272 espèces de riz sont présentées dans des récipients individuels faits à la main.
L'installation à huit canaux The Lightning Testimonies reflète une histoire de conflit dans le sous-continent indien à travers le sujet souvent réprimé, toujours sensible et manifestement urgent de la violence sexuelle à l'égard des femmes. Il est maintenant au cœur des échanges mondiaux et sa place centrale dans ce travail montre la prescience de Kanwar en tant qu’artiste. The Lightning Testimonies est un montage complexe de comptes rendus simultanés intégrant des récits allant d'enlèvements généralisés et de viols commis depuis la partition de l'Inde en 1947 jusqu’aux puissantes manifestations anti-viol de Manipur en 2004. Chaque projection met en scène différentes femmes racontant des souvenirs multicouches de traumatismes et de résilience, révélant de multiples histoires dissimulées, parfois à travers des personnes, des images et des souvenirs, parfois à travers des objets de la nature et de la vie quotidienne qui sont des témoins silencieux. Dans tous les récits, le corps est central - en tant que lieu d'honneur, de haine et d'humiliation, mais aussi de dignité et de protestation. Kanwar explore ainsi les nombreuses façons dont les récits de violence sexuelle sont mêlés aux conflits sociaux et politiques indiens. Cet effort a été voulu en partie pour briser les zones de silence auto-imposées et requises par la communauté entourant la question en Inde, tant dans les domaines public que privé. L'objectivité de l'approche documentaire de Kanwar est altérée par sa propre présence dans les films. À travers une voix-off et un commentaire à la première personne, l'artiste introduit une présence empathique et passionnée dans une discussion nationale à la fois éthique et globale.
Les biographies et témoignages personnels rassemblés par Amar Kanwar au cours de ses voyages en Inde et au Bangladesh informent son travail cinématographique de différentes manières: sous la forme de faits, de poèmes, de chansons, de représentations théâtrales et d'images poétiques. Utilisant une variété de langages visuels, The Lightning Testimonies nous transporte au-delà du domaine de la souffrance dans un espace de contemplation silencieuse où la résilience crée un potentiel de transformation.
Amar Kanwar, The Scene of the Crime, 2011. Single-channel video installation, color, sound 42 min. Overall dimensions variable. Co-commissioned by Thyssen-Bornemisza Art Contemporary, supported by the Centre Pompidou. Thyssen-Bornemisza Art Contemporary Collection. Courtesy the artist, Marian Goodman Gallery, Paris & New York.